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Interroger la tension entre énoncés singuliers et expressions du collectif dans les écritures juives invite à un retour sur le contexte d'apparition du concept bakhtinien de polyphonie, qui n'est pas sans lien avec l'environnement dans lequel s'est développée la modernité politique, épistémologique et littéraire du judaïsme d'Europe orientale. L'œuvre de Mikhaïl Bakhtine – élaborée, pour partie en tout cas, dans l'entre-deux-guerres – est à comprendre comme la contestation d'un réalisme socialiste qui exalte l'épique monographique et l'idéologie unique, au détriment de la pluralité des positions énonciatives. La littérature juive – et en particulier la littérature yiddish – de l'Union soviétique, située dans un espace liminaire entre les langues et entre les représentations symboliques, peut-elle aussi être envisagée comme un espace de subversion de l'univoque. Il convient donc de mettre en relation ce lieu anthropologique et ce champ théorique, mais aussi d'en élargir le périmètre géographique et historique, afin de mieux saisir ce qui, dans les écritures de la modernité juive, favorise des formes de dialectique interne et de circulation des énoncés. Nées sur le terreau d'une tradition qui engage tout énoncé individuel à une responsabilité envers l'existence collective, celles-ci ne renoncent pas à circonscrire des lieux de reconnaissance du groupe mais recréent ces groupes sous des formes éclatées, définissant des identités aux frontières labiles, nourries par un multilinguisme qui induit de facto des formes de dialogue et de conflit. La confrontation de deux romans de Mendele Moykher Sforim et d'Oser Warszawski (Laëtitia Tordjman), la réinterprétation du roman de chevalerie d'Élia Lévita par Y. Y. Trunk (Arnaud Bikard), la réécriture en anglais d'un roman de Bashevis Singer (Valentina Fedchenko), l'intrusion de voix étrangères dans le corps des textes et des personnages (Carole Ksiazenicer-Matheron, Cécile Rousselet) permettent d'aborder la manière dont se formul