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«Il avait appris à écrire»: retourner ainsi le titre d'un célèbre essai consacré aux incipit, serait-ce donner à entendre que Simenon, au contraire d’Aragon, bien faraud de prétendre n’avoir jamais appris à écrire, applique des procédés qui lui ont été enseignés? Bien sûr que non! On sait que sa scolarité a été écourtée et qu’il n’a pu bénéficier, de la part de ses maîtres, de conseils d’écriture susceptibles de faire de lui le romancier qu’il est devenu, un «pêcheur au lancé» capable, en quelques phrases, d’appâter et de ferrer le lecteur. Cette capacité, c’est le fruit d’un apprentissage «sur le tas», en tant que fournisseur de la presse quotidienne, d’abord, puis, très vite, d’une littérature vouée à la consommation rapide. Peut-on dire que Simenon, au cours des années de maturation sous pseudonymes, a fabriqué des hameçons tout à fait personnels et qu’il a découvert une manière de jeter la ligne à nulle autre pareille? Sans doute pas: ce serait un jeu d’enfant de trouver, chez ses contemporains, à l’entame des romans, des situations et des personnages aussi indéterminés que les siens, qui piquent la curiosité et suscitent le désir de savoir qui ils sont et ce qui les a menés là où ils sont. Mais il y a chez lui un degré d’intrication des points de vue bien supérieur à celui qui se rencontre chez ses confrères, une alternance de perspectives – sans scrupules pourrait-on dire – qui, à la fois, peut décontenancer le lecteur engoncé dans les habitudes de réception de la narration réaliste, et lui ouvrir de vastes espaces d’interprétation. Quelque chose arrive à quelqu’un quelque part; quelqu’un parle, mais ce qui a lieu ou ce qui est dit est donné à connaître à travers un énoncé dont la source est indécise ou dont l’énonciateur n’est pas sûr. Si la formule n’était rebattue, on pourrait dire «Ça parle» et il revient au lecteur de chercher ce que ça signifie _pour lui_ , ce qui est à comprendre, ou, plutôt, ce qui peut être compris à partir de, grâce à, malgré aussi parfois ce qui est dit – ou tu. De tous les écrivains «réalistes», Simenon est peut-être celui qui laisse le plus de marge à l’interprète, celui qui, en régime de clôture du sens, débarrasse le récit de la plupart des figures dévolues à son avènement, ou ne les convoque que pour contester leurs prétentions. Il invite ainsi implicitement le lecteur à débrouiller l’écheveau et, sans le mettre en garde noir sur blanc, il lui laisse entrevoir le risque de ne tirer que sur quelques fils. Ici, très modestement, il a été proposé à des lecteurs issus de diverses communautés interprétatives et pas tous, loin de là, également familiers de Simenon, de mordre dans l’esche d’un incipit, ou de dire de quoi elle est faite, ou d’être à la fois le poisson et celui qui l’appâte. Il s’agissait de ne pas relancer le carrousel des généralités sur l’univers fictionnel du romancier, mais de mettre le doigt sur les mots, sur les phrases qui incitent à y entrer.