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Pourquoi consacrer aujourd'hui un numéro de Nouvelles questions féministes au plaisir sexuel féminin ? Il apparaît, au regard des productions scientifiques et militantes des dernières décennies, que 30 années après la publication du célèbre article d'Ann Koedt « Le mythe de l'orgasme vaginal », qui fut l'une des premières féministes à mettre en cause la pensée dominante sur la sexualité des femmes, que la question du plaisir sexuel féminin dans l'hétérosexualité reste particulièrement pertinente pour l'étude des inégalités entre femmes et hommes d'une part et pour l'étude des rapports sociaux de sexe d'autre part. Le mouvement des femmes s'est beaucoup intéressé à cette question, alors que la recherche scientifique s'est montrée nettement plus frileuse. C'est donc dans les réflexions menées dans ce mouvement que l'on trouve les premiers éléments d'une analyse de la construction sociale du plaisir féminin. Les articles présentés dans ce numéro apportent des éclairages sur les processus contemporains de construction sociale du plaisir sexuel féminin dans l'hétérosexualité, et la mise en perspective de ces nouveaux résultats, au regard du texte précurseur d'Anne Koedt, souligne la persistance des rapports de domination de sexe et de classe tout en donnant à voir les recompositions à l'oeuvre. Bien d'autres questions restent à traiter. En particulier, l'analyse de l'accès limité des femmes au plaisir dans la sexualité ne doit pas nous empêcher de questionner la nouvelle injonction sociale au plaisir sexuel. La sexualité est en effet appréhendée dans les pays riches sous l'angle de la santé et du bien-être, dans une tentative de dépassement de la « sexualité-risque », mais en revanche la sexualité devient le conduit majeur de la réalisation de soi, et cette forme de réalisation prend à son tour un caractère d'obligation sociale. Bien que cette injonction demeure cadrée par une définition masculine - plus exactement, patriarcale - de la sexualité, elle s'adresse maintenant autant aux femmes qu'aux hommes. La quête de l'accomplissement sexuel peut ainsi devenir une source de souffrances, mais de souffrances différentes pour les femmes et les hommes. Enfin, il est clair qu'elle reste dominée par l'impératif hétérosexuel ; les quelques études françaises se focalisent sur l'hétérosexualité, et montrent ainsi que l'homosexualité reste toujours en dehors du champ des pratiques « normales ».