Prix public : 20,00 €
Que s’est-il passé sur le plateau du Chambon-sur-Lignon : de Fay-sur-Lignon à
Saint-Agrève, du Mazet Saint-Voy à Devesset ? Pourquoi ces quelques communes,
et d’abord la première nommée, souvent prise pour métonymie d’un espace
plus large, jouissent-elles d’une telle réputation, en France comme aux États-
Unis ? Pourquoi, lorsque le président Jacques Chirac a fait entrer les Justes de
France au Panthéon, en 2007, n’a-t-il cité que deux noms, ceux de l’archevêque
Saliège, de Toulouse, et du pasteur Trocmé, du Chambon ? On peut être tenté
de répondre qu’il est advenu sur ces hautes terres quelque chose de l’ordre du
« miracle ». Que des figures d’exception se sont transformées en chefs d’orchestre
d’une générosité répandue dans toute une population. Que si quelque part dans
le monde on a pu observer une « banalité du bien », c’est ici, à 1000 mètres
d’altitude moyenne. Mais ce serait probablement une erreur que d’aller dans
cette direction, en pensant voir des héros là où il n’y avait que de simples gens ou
en estimant, à l’inverse, qu’en chacun de nous sommeille un Juste potentiel.
Ce que révèle l’aventure du Plateau dans les années 1940, ce que son Lieu
de mémoire et le présent catalogue s’efforcent de donner à comprendre, c’est
que l’histoire – osons rappeler de telles évidences – s’écrit dans des lieux, des
contextes, des cultures, bien précis. Et la mise au jour et la description de ces
temps et de ces espaces matériels et immatériels peuvent suffire à résoudre les
énigmes apparentes, les « miracles » invoqués. L’accueil des juifs au Chambon
et dans sa région ne tombe pas du ciel, si l’on ose dire – fût-ce quelque ciel des
Justes. Il est le fruit d’une histoire très concrète. Et si l’on prétend en tirer des leçons
pour le présent et l’avenir, encore faut-il décrire ce processus. On peut le faire
en s’attachant à la diversité des temporalités qui s’additionnent ou s’emboîtent,
en quelque sorte, sur le Plateau : le fait qu’on ne les trouve rassemblées qu’ici
explique, du reste, cette « exception » que certains ont été tentés de célébrer de
manière parfois un peu incantatoire.
La plus ancienne de ces temporalités est celle du protestantisme huguenot, surgi
et développé du XVIe au XVIIIe siècle, avec son expérience souvent tragique de
la minorité et de la persécution, sa fidélité, son irrésistible tendance à chercher
dans l’Ancien Testament des raisons de survivre et d’espérer, comme l’avait fait le
peuple de Dieu auquel il s’est lié dans un étrange mais significatif mimétisme – cf.
la métaphore du « Désert »1 . Cette mémoire longue n’est ni morte, ni muséifiée,
ni folklorisée au cours des années 1940 : elle offre au contraire l’exemple d’une
mémoire vivante, capable de se traduire en actes.
Il ne saurait expliquer, à lui seul, la spécificité de l’histoire qui s’est écrite au
Chambon-sur Lignon...