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Le cut-up est la meilleure chose qui n’est pas, mais qui aurait dû, arriver à la langue française. Pélieu s’y est mis, a essayé, y a travaillé, a réussi ou a faillit réussir couper là où le surréalisme n’a jamais oser aller, c.à.d. couper la phrase, la syntaxe, désyntaxiser, désarticuler, éjointer. Pélieu a compris qu’il fallait couper (« Cut-up Or Shut Up » disait l’ami allemand Carl Weissner) la phrase française. Céline — dont Claude était grand lecteur, évidemment — l’avait fait à sa manière avec ses trois boules, permettant un retour à une oralité de la langue que le français avait perdu depuis belle lurette (tiens, disons-le, depuis Rabelais), une belle oralité qui sauvegarde le phrasé — plus souvent staccato que legato — dans une syntaxe qui bien qu’abrégée, reste pourtant assez classique, donnant la fameuse “petite musique” célinéenne. Pélieu est allé plus loin que Céline même dans cette direction, aidé par les grandes musiques américaines de l’époque, de John Coltrane à Jimmy Hendrix, d’Ornette à Janis. C’est bien cela que les plus radicaux des jeunes poètes français des années 70 ont compris. C’est les électriques, Michel Bulteau et Matthieu Messagier qui ont porté à l’extrême le travail de Pélieu à partir du cut-up et foold-in Burroughsien. Il est essentiel de ne pas limiter Pélieu aux très beaux et séduisants, aux éblouissants poèmes des 10/18 inédits des années 70 comme Jukeboxes ou Tatouages mentholés et cartouches d’Aube. Ces derniers sont les hameçons aux appâts alléchants avec lesquels Claude ferre les lecteurs pour les ramener à l’immense et décapante écriture folle de CE QUE DIT la bouche d’ombre dans le bronze-étoile d’une tête, du Journal blanc du hasard, d’Embruns d’exil traduits du silence et autres livres ni-poème, ni-prose, ni-essais mais qui sont le plus simplement et le plus complexement du monde de l’écriture, « writing writing » comme aurait dit Gertrude Stein.
J’insiste: l’écriture de Claude Pélieu reste à découvrir au-delà d’une romantique association avec les poètes & écrivains beats (et cela malgré les magnifiques traductions de Claude et de Mary), association qui limite la portée de son travail. Nous espérons que ce dossier (concept qui aurait fait rigoler Claude) va aider à ouvrir les yeux et les oreilles de nouveaux lecteurs et à nous guérir de ce que Benoît Delaune a appelé « un écoeurement devant le silence assourdissant des … dernières années qui entoure l'une des œuvres poétiques les plus originales et séduisantes de la fin du XXe siècle. » Pendant quarante ans Claude Pélieu aura travaillé sans relâche et avec un imparable humour infra-noir et ultra-violet à désosser les calamités du siècle finissant. Let’s cut to Claude par un segue Jukeboxes où il se définit :
je suis la vague de désillusions qui gronde
je suis ce cadavre rebaptisé par le Zombie en soutane
je suis encore chaud & je ressemble aux vivants comme 2 gouttes d'eau
Pierre JORIS
(Revue Les Hommes sans Épaules).