Prix public : 16,00 €
Dés sur le carré de la terre
(...) Dans sa quête de l'essentiel, cette poésie ne décrit pas le monde existant ni ne s'attarde à ses détails. La voix n'est pas celle de la lamentation, de la diatribe ou de l'éloge. Il n'y a pas d'un côté les pleurs et de l'autre l'allégresse. Pas d'espoir ni de désespoir non plus. Une voix unique tel le parfum, pudique, délicate, austère. La langue est sans prétention. Elle ne cherche pas à changer le monde pour en construire un nouveau sur ses décombres et se contente de regarder à la dérobée ce qui a disparu et ce qui ne peut pas être encore. Elle semble s'interroger subrepticement : pourquoi d'aucuns s'obstinent-ils à vouloir rendre sa jeunesse au monde ? N'est-ce pas plus simple et plus singulier en même temps que de vivre, penser, écrire, comme si nous ne faisions en cela qu'insuffler l'enfance en toute chose et pour toute chose ? Pas d'événements, mais des allusions et des signes, et si d'aventure événement ou chose vue il y a, ce ne sont qu'indices de l'avant ou de l'après. Il n'y a pas de construction, mais des traits fins et des épaisseurs transparentes. C'est ainsi que "l'ombre a le dernier mot", selon l'expression de l'ami disparu, le grand poète Roberto Juarros. Voilà ce que nous lisons à la clarté de la poésie de Aïcha Arnaout. En nous donnant à voir du monde ce balancement au bord d'un certain gouffre, elle nous rappelle que la vie est un moment fugace, une pénible incertitude, cet or cosmique qui se meut sur deux pieds d'argile. Elle nous rappelle aussi que la vie exige, puisque nous la vivons, des actes exceptionnels comme en exige l'amour. C'est ainsi que cette poésie ne cesse de s'interroger sur les contrées secrètes de l'avènement en instance et de l'absence, sur le non-advenu et son attente, sur ce qui est menacé en permanence, indécis, relié à l'absence. En cela elle élargit l'horizon des sentiments et de la vision, précède le temps et se penchesur les tourments de l'anticipation, en recueille les traces perdues. Dans sa nostalgie non déclarée d'une masculinité authentiquement amoureuse, elle est hantée par la fondation d'une féminité cosmique, annonçant ce qui se conçoit dans l'inconnu, une féminité à son tour fondatrice d'un amour semblable à une rencontre dans l'exil et l'étrangeté, à un périple libre au-delà des fins.
Oui, sous cette voûte du questionnement, de l'angoisse et de la perplexité, il me plaît de dire de la poésie de Aïcha Arnaout qu'elle est celle du recueillement et du cheminement permanent vers le mystère.
Adonis