Prix public : 10,00 €
« Tandis que mon hôte raccompagnait les derniers invités jusqu’à la porte du jardin, j’examinai les cadres aux murs du salon de musique, qui faisait aussi office de bibliothèque. Il y avait là quelques pièces assez remarquables, parmi lesquelles une rare épreuve avant la tombée de Charles Nicolas Cochin représentant le rapt de Ganymède, dont la tonalité gaillarde me réjouit. Encore souriant de la malice du graveur, je contemplais assez distraitement les autres œuvres, quand mon regard fut attiré par une photographie quelque peu cachée dans une encoignure. Ce qui, en fait, avait appelé mon attention, c’était la banalité du sujet. Le tirage en noir et blanc, légèrement surexposé, représentait un pan de mur en briques, occupant environ les deux tiers de la surface, tandis qu’à l’arrière-plan, sur un ciel sans nuage, se découpait un paysage vallonné, dont seuls deux cyprès rompaient l’agreste monotonie. Il ne se dégageait rien de spécialement harmonieux de cette vue, ce qui m’étonna, car j’avais toujours été admiratif du sens du cadre et des proportions des clichés de mon hôte, photographe à ses heures.Perdu dans mes réflexions sur le sens de cette photo, je sursautai quand il posa sa main sur mon épaule.– Est-ce que tu la vois ? – Qu’est-ce que je suis censé voir ? – C’est vrai que, dans ce recoin mal éclairé, ce n’estpas évident. Mais, tu comprends, j’ai peur que la pleine lumière ne finisse par la faire passer. Il y a des jours où je doute même de son existence, et si je n’ai pas rêvé tout cela.Ce disant, il décrocha le cadre et me le mit entre les mains.– Regarde bien. Tiens, approche-toi du lampadaire. »