Prix public : 28,00 €
<p>Ludibrium : mot d'origine latine, désignant des jeux sarcastiques autour du sexe. Avec une dimension morbide. Le mot fut traduit par farce, moquerie, dérision. C'est une conjuration désespérée et ironique de la violence du monde et de son absurdité.</p><p>Lauréat du Prix Kodak de la critique photographie en 1995, Grégoire Cheneau utilise pour le projet Ludibirum le procédé technique du collage sur Photoshop, encore peu exploré qui permet un agencement particulier.</p><p>Dans l'ouvrage, s'enchaîne une série de paysages urbains à Paris pris la nuit au flash. Des bas d'immeubles modernes, aux lignes froides, peu rassurantes. Sur lesquels, à posteriori, avec Photoshop, divers éléments ont été disposées un à un : personnages, sculptures, objets, détritus, animaux, etc. Des manipulations pour faire une tragédie.</p><p>Le procédé technique du collage sur Photoshop offre un champ esthétique à découvrir, original et vaste. De la mise en scène pas comme au cinéma sur un plateau, mais plutôt comme en peinture par collage. Des perspectives fausses, des ombres redessinées. Des regards presque justes.</p><p>Deux textes accompagnent la publication : "la terreur primitive" de Bertrand Bonnello réalisateur remarqué d'un court-métrage sur la photographe Cindy Sherman et jouée par Asia Argento ainsi que "Metteur en scène d'une mise en question" du critique d'art et poète Alain Jouffroy.</p><p>Alain Jouffroy replace le travaille de Ludibrium dans l'histoire de l'art et de la photographie :</p><p>La photographie ne domine donc pas davantage la peinture que le contraire, elle en est simplement devenue l'égale. C'était prévisible : tout dépend depuis toujours du principe, que Léonard de Vinci fut le premier à énoncer dans ses Carnets :</p><p>"Pour tout ce que l'on voit, il faut considérer trois choses : la position de l'oeil qui regarde, celle de l'objet vu et de la lumière qui l'éclaire." Toute nouvelle révolution du regard dépend de ce principe fondamental, auquel aucun photographe, d'aujourd'hui ou de demain, ne pourra échapper.</p><p>[...] En choisissant comme scène commune le bas de certains immeubles modernes de Paris et en y faisant poser des personnages comme sur un plateau de théâtre, Grégoire Cheneau a consciemment universalisé, à Paris, la banalité de la vie quotidienne actuelle en spectacle. Chacun de ses personnages, tels qu'il les représente en différentes postures, devient l'acteur d'une oeuvre théâtrale minutieusement organisée. Etrange théâtre, privé de texte - comparable en cela au célèbre Regard du sourd, de Bob Wilson, où les personnages étaient comme pétrifiés, stupéfaits par ce qui leur arrivait et dont ils ne semblaient pas du tout comprendre le sens. Plongés comme ils sont dans une semi-obscurité, les personnages de Cheneau ont l'air d'attendre quelque chose qui n'arrivera jamais, comme dans Godot. Ou bien, prisonniers ou prisonnières, ligotés ou prostrés, ils ont surtout l'air condamnés à vivre des situations dont ils sont incapables de sortir, comme le Monsieur K de Kafka. Tout se passe dans ce Ludibrium comme dans une tragédie muette.</p><p>Ainsi, de Kafka à Bob Wilson en passant par Beckett, c'est, pour la première fois semble-t-il, le théâtre moderne qui préside aux choix thématiques et esthétiques d'un photographe innovateur.</p>