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11 mars 2011. Un séisme d’une magnitude exceptionnelle secoue l’archipel du Japon. Déferlant presque instantanément à travers ce que terre, mer et ciel comptent de connexions électroniques, les vagues, les débris, les carcasses, le feu et bientôt la neige, et bientôt les radiations nucléaires se répandent sur les écrans du monde entier. Ils s’y mêlent en une boue informe aux mots, aux commentaires, aux analyses, charriant partout l’intelligence et les émotions comme l’eau charrie là-bas, au Tôhoku, les cadavres. Avec Les Écrans, Jacques Ristorcelli restitue l’épreuve intime de la catastrophe : il livre quelques-uns des messages qu’il a reçus de là-bas, il note les mots lus à la télévision, il transcrit ses angoisses… Mais il le fait en se tenant explicitement à la surface du désastre — qui est la dimension majeure de la catastrophe : il se tient au désastre tel qu’il lui est arrivé, tel qu’il nous est parvenu, à la surface du désastre tel qu’il arrive uniformément, continuellement, au-delà du nord-est du Japon, avant, pendant, depuis le 11 mars 2011, le désastre ici et maintenant, mais auquel cette date et un nom de lieu — Fukushima — donnent la force de l’emblème. Dans Les Écrans, les images de catastrophe s’enchaînent en un flux ininterrompu : les dessins d’explosions, d’effondrements, de naufrages, de corps qui tombent, d’accidents forment comme un fond d’écran à la surface duquel s’entrelace un mince réseau de paroles. Trois voix surnagent et émergent ainsi tour à tour. On repère instantanément la parole médiatique (« Fichiers »), la voix sans timbre des bannières de texte déroulées par les chaînes TV d’information en continu. On distingue une voix forte et fière (« Elle »), captée depuis là-bas, témoignage direct de la catastrophe au jour le jour. Plus fragile, moins localisable, mystérieuse, indolente, exhibitionniste, étourdie, à peine incarnée, s’imprime enfin une troisième parole (« Yuki »), qui sonne comme la voix même des écrans, paraissant répéter de mille manières inlassablement la même hébétude : pourquoi tout n’a-t-il pas déjà disparu ?