Prix public : 20,00 €
<p>Avant-Propos</p> <p>au seuil du visible ses propres dispositifs discontinus :
montage, déplacement, épinglage, techniques mixtes
etc. : le brouillon et la bouillie.
La technique s’installe dans la forme : forme et technique
s’assemblent en une « bouillie » où Deleuze voyait l’action
propre au dispositif.
Je d irai p lutôt u ne « émulsion » : u ne p art résiduelle
de la forme, proprement technique et fonctionnelle qui
n’accède pas au visible, poursuit sa course au coeur de la
durée processuelle : elle a une vie propre et peut donc
déployer ainsi un mode d’exposition autonome, en soi.
En ce sens dispositifs et machines occupent la place de
« l’esquisse » à ceci près que leur destination n’est pas
d’être simplement au service du projet mais de créer
un lieu nouveau de l’oeuvre, entre l’oeuvre elle-même
et les conditions de sa réalisation. Ils sont ainsi une
« nouvelle expression artistique », ni dessin, ni peinture,
ni sculpture, ni photo, ni cinéma, mais un lieu commun à
toutes ses disciplines : à la fois « machine à comprendre »
(expériences de Brunelleschi) et « machine à voir » (le
Modulateur spatial de Moholy-Nagy).
La mémoire, par sa nature même est le modèle intégrécomplexe
de tout dispositif. Sa mécanique s’exerce depuis la
plus ancienne antiquité, depuis Simonide de Céos jusqu’à
Giordano Bruno, dans l’art de la rhétorique. Au Moyen-
Age la Machina Memorialis e st un outil e ssentiel pour la
pensée théologique ou philosophique, pour l’histoire,
l’art et la poésie. Elle est sans doute la raison, en grande
partie perdue aujourd’hui, de ce qui dans l’enluminure
trame la lettre à l’image.
Le collage adopte un grand nombre de ses fonctions,
articulations, découpages, ainsi que sa structure faite
de couches superposées. Il est aussi contemporain
de l’invention de la psychanalyse et de La Recherche du
temps perdu, deux modes de réactualisation de l’ar t
de la mémoire. Le collage serait un troisième mode :
l’inscription de la Machina Memorialis d ans le corps d e
peinture.
« Méditatif :
Il est (tisonne-t-on), un art, l’unique ou pur .... »
Mallarmé, « Crayonné au théâtre ».
« Le mouchage de torche est la trace charbonneuse laissée par
l’homme préhistorique après avoir frotté la torche sur les parois
pour enlever la partie carbonisée qui asphyxiait la f lamme et la
raviver. »
Si le dispositif est selon Deleuze « l’unité artificielle…
d’un ensemble multilinéaire », i.e. au minimum le lien
construit (imposé par décision ou s’imposant de lui-même,
par sa nature) entre au moins deux effets diffractés à
partir d’une source commune, ne faudrait-il pas voir dans
le « mouchage » le paradigme du dispositif pictural : une
marque laissée sur une paroi de grotte avec la seule intention
de ranimer le tison, et perçue dans un second temps comme
trace, c’est-à-dire comme déjà du dessin ? Et si le dessin, tout
au long de l’histoire, éclaire à sa manière, par la distinction
des formes, c’est qu’il conserve en lui à travers son outil, le
fusain et sa trace charbonneuse à la surface de la paroi, la
mémoire du feu dont il est une mutation. A l’autre bout de
l’histoire Matisse renouvelle la scène primitive dans une
chambre, qui est une sorte de grotte, où, alité, on le voit
tracer au plafond les figures de ses petits-enfants à l’aide
d’un fusain attaché à une perche.
On voit un même phénomène inaugural, la terre et
l’eau pour médium cette fois, avec les traces de doigts
creusant l’argile molle des parois de la grotte : d’abord
une empreinte de la main posée accidentellement puis
par insistance et répétition, par plaisir, le glissement
de l’index dans l’épaisseur de la matière molle, poussant
en avant et abandonnant sur ses bords le léger relief qui
comme un talus ou les rives d’un ruisseau encadre sa
marche en avant au but indécis.
On retrouve ce doigt errant avec Miss Froy dessinant
son nom dans la buée d’une vitre de wagon-restaurant.
Ce nom –fantôme, apparaissant ou disparaissant selon le
degré d’humidité ou de ventilation de la pièce est l’objet
énigmatique de Lady vanishes d’Hitchcock. Le dispositif
minimum conserve la « multilinéarité » qui a présidé
à sa construction : il est maintenant le pivot de récits
multiples que seule la résolution de l’énigme va réunir en
un seul.
Sans doute aussi la parole a erré longtemps dans le
labyrinthe des sons purs et des onomatopées, jusqu’au
Livre de Mallarmé.
Face à ces dispositifs minimums fondamentaux et quasi
originaires, à portée de mains, le collage introduit,
historiquement et stratégiquement, une complexité
maximale qui pulvérise la traditionnelle et antique unité
et homogénéité du geste pictural en laissant affleurer
</p>