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Les personnages du court récit que l’on vient de lire s’avancent sur scène pour dire leur douleur. Leurs voix se succèdent - des « éclats de voix » - comme celles de récitants dans un oratorio. Elles expriment le poids du destin qui les accable soudain, en les plaçant devant ce secret qui vient d’être dévoilé. Une lettre anonyme l’a révélé. Comment réagir désormais ? Crier, menacer, aller jusqu’au meurtre ? Ou se retirer dans sa propre pensée pour y ensevelir le drame ? C’est la seconde solution qui l’emportera. Celle de l’ombre, légère, malléable, seule capable d’envelopper la lourdeur du secret. L’argument de ce récit trouve son origine dans l’histoire d’Émile Zola et de Jeanne Rozerot. À l’âge de 48 ans, Zola, marié à Alexandrine, romancier au faîte de sa gloire, auteur de L’Assommoir et de Germinal, est tombé amoureux d’une jeune lingère qui avait 27 ans de moins que lui. Il n’y a rien eu de trouble dans leur histoire, mais seulement le développement d’une passion dont la raison profonde reposait sur ces enfants qu’Alexandrine n’avait pu donner à Zola et que Jeanne lui apportera : Denise, née le 20 septembre 1889, et Jacques, né deux ans plus tard, le 25 septembre 1891. Envoyée dans les premiers jours de novembre 1891, peu après la naissance de Jacques, une dénonciation anonyme a tout appris à Alexandrine. Il en est résulté une crise d’une grande violence. Mais le conflit a fini par s’apaiser. Un compromis a été trouvé. Un douloureux « partage », dont les lettres de Zola à Jeanne et à Alexandrine disent toute l’incertitude. À Jeanne, le 13 juillet 1894 : « Je ne suis pas heureux. Ce partage, cette vie double que je suis forcé de vivre, finissent par me désespérer. » Et à Alexandrine, le 11 novembre 1895 : « Je ne puis dire que je suis très gai, et je crains fort de ne plus jamais l’être, car le partage du cœur m’est aussi douloureux que l’abandon où tu as pu te croire. » On pourra découvrir l’ensemble des lettres de Zola dans les deux volumes qui ont été publiés aux éditions Gallimard, en 2004 et 2014. Mais, en écho, il convenait de faire entendre les voix des deux femmes auxquelles l’écrivain s’est adressé. C’est ce qu’a souhaité faire Sophie Guermès en imaginant cet arrière-plan à la correspondance, d’autant plus nécessaire que les lettres écrites par Jeanne ont été perdues et qu’il ne reste qu’une partie des lettres d’Alexandrine. Ce n’est donc pas Zola que l’on entend ici, mais celles qu’il a aimées et qui, par amour pour lui, ont accepté la situation qu’il leur a imposée. Un troisième personnage se glisse dans ce récit : Henry Céard, un disciple du romancier, qui aura tout perdu dans cette aventure, car le rôle impossible qu’on lui a demandé de tenir auprès de Jeanne l’a conduit à s’effacer d’une manière définitive. Une pièce de théâtre n’a de valeur que si elle donne la parole à tous les protagonistes du drame qu’elle représente. Du monologue de la correspondance zolienne plusieurs voix étaient absentes : Sophie Guermès a su les restituer.