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Les Livres du souvenir ne sont pas le fruit de la seule catastrophe même si, à l’évidence, ils sont portés par elle. Inscrit dans une longue tradition juive, le nom de Livre du souvenir (yizker buch en yiddish) fut forgé après la Seconde Guerre mondiale, accolant le mot hébreu Yzkor, le souvenir (mais aussi l’intitulé de la prière à la mémoire des morts), et le mot allemand Buch, livre. Dans le monde ashkénaze, ces Livres de la mémoire (memorbuecher) commémoraient les victimes des pogroms, présentées comme ayant péri pour la sanctification du nom (Kiddouch Hashem). Le processus de modernisation qui va faire de la judéité une religion seule va voir le Livre de la mémoire devenir le Livre du souvenir, plus axé sur un souci historien. Il ne s’agit plus seulement d’inscrire sous forme de liste les noms des victimes du pogrom, de décrire le déroulement de ce massacre, mais aussi de raconter le passé de la communauté et ce que sont devenus, plus tard, ses habitants. Les Livres du souvenir nés du génocide s’inscrivent dans cette lignée. Ils reprennent les noms des victimes dont l’immense majorité n’a pas eu de sépulture. À l’origine du Livre, des commissions d’histoire mises en place en 1944-1946 dans les camps de personnes déplacées (en Allemagne et en Autriche), mais aussi en Pologne et dans les territoires soviétiques libérés. C’est à partir de ce travail d’enquête où la parole fut donnée à tous que l’on a commencé à prendre conscience de l’ampleur du massacre. C’est aussi à des initiatives individuelles et à des associations, en diaspora (aux États-Unis surtout) et en Israël que l’on doit ces livres, rédigés en yiddish ou en hébreu. Tous sont construits sur un même schéma ternaire (l’avant/l’extermination/l’après) et chaque témoin fait revivre les aspects et personnages de la vie d’avant-guerre. Pour la seule Pologne, on compterait 540 Livres du souvenir, sans oublier ceux des communautés juives de Tchécoslovaquie, des Pays baltes, de Yougoslavie, de Roumanie, de Hongrie, d’Union soviétique et d’Allemagne. Au-delà du besoin de se souvenir, le but du Yizkerbuch est de casser la culpabilité du survivant. Et de laisser une trace écrite aux enfants et aux petits-enfants. En ce sens, ce sont davantage des tombeaux que des livres. Ils manifestent un acte de piété mémorielle et de piété filiale vis-à-vis des disparus que l’énoncé du nom fait entrer dans l’éternité parce que c’est par leur nom seul qu’ils existent. De là, ce Mémorial de papier puisque la mémoire ne peut plus s’inscrire dans un lieu. Un acte de combat aussi contre la volonté d’anéantissement de l’existence juive. Sauver, non pas seulement du néant de la mémoire, mais du néant tout court puisqu’il n’y eut aucun rite funéraire d’inhumation. Ces Livres du souvenir disent en creux l’immensité de la perte.