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On avait tous vu le tracteur erratique, et son char rempli de conscrits vautrés comme des guenilles dans la paille, traverser à toute berzingue les rues du village, perdant une partie de sa cargaison dans les tournants, surtout les imprudents qui s’asseyaient les jambes ballantes sans s’accrocher et qu’on retrouvait plus tard le bras en écharpe ou une jambe dans le plâtre. Ils allaient triomphants, dans leur char décoré de feuilles de vigne et de petits drapeaux aux couleurs de la France, réveillant le village endormi, faisant sourire les passants qu’ils récompensaient d’un coup de clairon. »Dans les campagnes, jusqu’à une date récente, on demandait facilement à un homme : « Tu es de quelle classe ? ». Pour répondre, il suffisait d’ajouter 20 ans, âge légal de départ au service militaire, à sa date de naissance. Tous les gens d’une même classe d’âge étaient des conscrits. Le conseil de révision (qui déclarait les hommes aptes au service militaire) ayant lieu à 18 ans, les conscrits avaient pris l’habitude de faire cette année-là une bringue géante lors de la fête du village. C’est cette « fête des conscrits », véritable bacchanale et rite de passage de l’adolescence à l’âge adulte, que j’ai voulu raconter. B.T