Prix public : 12,00 €
Préface de Dominique Chipot :
Je lis Dorval. Assis en terrasse après deux journées d’orage. Le soleil dévoile timidement son ardeur au rythme des nuages sur le fil du vent. Chaque arbre joue sa chanson. Le cerisier mésange, le bouleau corneille, le forsythia merle et le pin tourterelle. Les rayures rouges du parasol dessinent une délicate dentelle sur la paroi du bol. Le thé infuse en silence et quelques gouttes de vapeur perlent sur la théière translucide. J’étale le carmin des cerises sur le châtain du pain grillé, ignorant les règles de base du sumi-e. Soudain le vent s’encolère. Les oiseaux se taisent, la pompe de la piscine semble forcir son chant tandis que l’eau se noircit d’un amoncellement de nuages. Je lis Dorval. Je me sens l’âme d’un poète, moi qui ne cherche qu’à écrire des haïkus.
Sa robe fleurie
le mouvement des nuages
l’âme pénétrante
ce qu’elle m’offre ses yeux
je l’accueille radieuse
Je lis Dorval au printemps. Bercé par la mélodie de son phrasé et son style si singulier, je ferme les yeux pour mieux m’imprégner de ses évocations. Mon regard accompagne le sien. « Estampe dans l’œil ». Estampe de l’œil, ses tanka gomment l’inutile pour ne laisser de « quelques instants fragiles » que la trace essentielle, celle du « cœur à l’écoute ». Le tanka exprime ainsi l’émotion discrètement sécrétée ou impudemment déchaînée.
Passage des oies
nos mains n’émigrent pas
retenir le vent
je suis toujours cerf-volant
point de ficelles au cœur
L’été aussi, je lis Dorval. Pas besoin de « haut-parleurs » pour entendre les cigales, ‘tous les vents en chœur’, ‘l’éveil du chardonneret’ ou ‘le pluvier siffleur’. Il les transcrit tels et leur seule présence suffit à révéler les sentiments humains. Je m’attendris de ses images si intimes et pourtant si universelles.
La pub sur les poteaux
apprendre de nouveaux mots
au jeu du scrabble
j’aime aussi me souvenir
des petites fleurs des champs
Lors d’un échange, Jean Dorval m’avouait : « Je vois le tanka comme une expérience unique dans le langage poétique. […] Il doit prolonger l’instant, tout en demeurant dans le concret de l’image-émotion qui en génère son sens et sa profondeur. »
Pari réussi sans l’ombre d’un doute.
Je lis Dorval. À l’automne, savourant des moments infinitésimaux au côté d’un vieil ami toujours prompt à dévoiler les tremblements de son âme.
L’angoisse se faufile entre les lignes, les cœurs font des nœuds, et la palette des souvenirs dessine des tableaux riches de mouvements.
De murs en miroirs
les fenêtres ont de l’œil
message du ciel
des larmes multicolores
graffitis de mes automnes
Je lis Dorval.
Le temps s’arrête.
L’hiver ne viendra pas.
Dominique Chipot
juillet 2011.