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« Voici une extraordinaire correspondance, qui rappelle celle d’Héloïse et d’Abélard, la plus célèbre correspondance entre un homme et une femme au Moyen Âge. Mais leur destin ne prend nullement le chemin des deux célèbres amants du Moyen Âge. Ils ont la Joie en commun, une Joie éternelle, qui semble celle des grands saints, mais aussi du philosophe Spinoza », écrit Georges Nivat.
Alexeï et Valentina Lossev se sont mariés en 1922 : lui, principale figure de la pensée philosophique et religieuse russe, savant, mystique, elle, une scientifique reconnue. En 1929 ils prononcent leurs vœux monastiques dans le plus grand secret, puis ont été arrêtés en 1930. Elle est en Altaï, lui en bordure de Carélie, puis à Medvejia Gora, à l’extrémité nord du lac Onega, où se trouve toute l’administration du chantier esclavagiste du canal mer Blanche-Baltique.
Découverte par hasard en 1954, la correspondance de Lossev avec sa femme est un document exceptionnel sur le quotidien du camp : le froid, la faim, les travaux « généraux », les criminels, les transferts, les incessantes démarches entreprises dans le but d’obtenir une révision de peine, l’obscurité, l’humidité, les châlits rapprochés, l’existence dans des « baraquements où les hommes sont serrés comme des harengs ».
Dans les tréfonds de cet enfer résonnent deux voix qui n’en forment qu’une : une douce, régulière, tendre, très proche, très intime, qui cherche à bercer l’âme épuisée de son compagnon, l’autre inquiète, interrogative, révoltée, en quête de sérénité qui trouve néanmoins que toutes les souffrances « sont nécessaires pour le monde et l’histoire mondiale ».
Cet échange épistolaire n’a été publié dans son intégralité, en Russie, qu’en 2005. C’est une occasion unique d’entrevoir l’âme du penseur, de connaître le regard qu’il a posé sur une situation existentielle extrême qui a contribué à révéler l’essence de l’homme.