Prix public : 60,00 €
En 1968, Fernand Deligny fonde un réseau de prise en charge d’enfants autistes dans les Cévennes, à Monoblet. Quelques années plus tard (1975-1976), il consacre trois numéros de la revue Recherches, fondée par Félix Guattari, à cette expérience qu’il mène en marge des institutions éducatives et psychiatriques. Deligny n’est pas psychiatre. Il parle d’ailleurs plus volontiers d’enfants mutiques qu’autistes. À une époque où la prise en charge de l’autisme infantile est encore mal assurée, il propose un milieu de vie organisé en aires de séjour dans lesquelles les enfants vivent le coutumier auprès d’adultes non diplômés (ouvriers, paysans, étudiants). À ces éducateurs qui n’en sont pas - il les appelle les présences proches -, il propose de transcrire les déplacements et les gestes des enfants. Dans chacune des aires de séjour - situées à une quinzaine de kilomètres les unes des autres - et durant dix ans, au jour le jour (le soir ou le lendemain, parfois plusieurs jours après), les adultes tracent des cartes sur lesquelles ils reportent leurs propres trajets puis, sur des calques, les lignes d’erre des enfants. « Pour rien, pour voir, pour n’avoir pas à en parler, des enfants - là, pour éluder nom et prénom, déjouer les artifices du IL dès que l’autre est parlé. » Ces cartes ne servent ni à comprendre ni à interpréter des stéréotypies ; mais à « voir » ce qu’on ne voit pas à l’œil nu, les coïncidences ou chevêtres (lignes d’erre qui se recoupent en un point précis, signalant qu’un repère ou du commun se sont instaurés), les améliorations à apporter à l’aménagement de l’espace, le rôle des objets d’usage dans les initiatives des enfants, leur degré de participation à telle tâche coutumière au fil des jours, l’effet sur eux du geste pour rien d’un adulte (un signe, un repère supplémentaire), etc. Le livre rassemble près de deux cents cartes retrouvées dans les archives en 2010 par Gisèle Durand et Jacques Lin, compagnons de route de Deligny. Il se compose de onze chapitres ou sections, ordonnés chronologiquement et par aires de séjour. D’un lieu à l’autre, les mains qui tracent ne sont pas les mêmes : le « style » de Jacques Lin et Gisèle Durand n’est pas celui de Marie-Dominique Vasseur, Thierry Bazzana ou Nicole Guy. Les modes de transcription changent également : avec le temps, le vocabulaire graphique s’enrichit, devient très ou trop abstrait (à l’image du haut degré spéculatif de la recherche de Deligny), puis revient à un tracer plus simple et plus lisible. Ce sont pourtant les mêmes principes qui inspirent les auteurs de ces cartes : se déprendre d’eux mêmes dans une forme d’écriture, et enregistrer les traces de l’humain de nature que Deligny voit persister là où le langage se retire. L’ouvrage est bilingue et comporte également un glossaire où sont définis les mots du vocabulaire de Fernand Deligny.