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SEPT QUESTIONS A CHUS PATO 1/ Une autobiographie en quelques mots.La victoire des putschistes qui ont déclenché la guerre de 1936 a établi une dictature de 40 ans en Espagne, pendant laquelle la langue de la Galice, le galicien, a été interdite. Née en 1955, j’ai été scolarisée dans la langue du fascisme. Si la république n’avait pas été vaincue, j’aurais appris dans ma langue maternelle, le galicien. Par acte de justice et de mémoire, j’ai décidé d’écrire dans le langage de l’interdit. Parmi mes onze volumes de poèmes se trouve la pentalogie « Découvre, avant Méthode » composée de 5 titres : m-Talá, Charenton, Hordes d’écriture, Sécession et Chair de Léviathan. J’habite à Soutolongo, Pontevedra, Galice près des plus vieux châtaigniers d’Europe et j’ai la chance que mes livres sont traduits par Erín Moure.2/ Comment répondre à une injonction brusque : « Définissez la poésie. »Dans le poème qui conclut ce livre, on peut lire : le langage a dit /« ceci est un papillon » /« j’aime le papillon » /« y a-t-il un papillon ? » // un mot /celui-ci /qui n’est pas (mais n’est pas étranger) /un sens /un corps /un monde /un je /le lieu où l’espèce résout les problèmes /qui l’assiégeaient. Ces vers offrent une définition cachée de la poésie. Le poème est cet usage de la langue qui diffère des usages communs qui ont pour sujet un moi et qui décrivent le monde ou raisonnent dans un champ conceptuel. La langue du poème n’est pas étrangère au sens, ni au concept, ni aux désirs d’un moi, mais elle se dirige vers ce temps et ce lieu où l’humanité résout les problèmes qui l’assiègent et qui sont souvent impossibles à articuler.La langue de la poésie est celle qui surgit d’un langage dévasté : par la guerre, par un événement personnel, par ce qui nous fait taire et nous laisse sans voix. Même ainsi, un.e poète écrit un poème. La langue dévastée n’est jamais pleinement dévastée, il reste toujours quelque chose. Un.e poète écrit ce reste. C’est toujours un nom qu’on n’est pas capable de dire. Le poème connaît l’impossibilité, connaît l’échec ; même ainsi, il écrit ce nom.Un ou une poète est un être dont le métier est de disparaître, de céder sa place à la langue du poème. La langue d’un poème se prononce à la troisième personne. Cette troisième personne peut être un cheval, un bâtiment, un océan, un arbre, une intrigue, par l’amour, la naissance, la mort ou les morts.... Le poème ne parle pas d’un bâtiment, ni de chevaux, ni de papillons, ni des intrigues, ni des morts. C’est le cheval linguistique qui écrit le poème. C’est l’océan linguistique qui écrit le poème. C’est le papillon linguistique qui écrit le poème....Un poème est toujours un être de langue, il s’écrit avec des mots et avec la syntaxe ou l’absence de syntaxe qui articule les mots. Définir la poésie, c’est comme vouloir traverser un arc-en-ciel ou tracer une asymptote. Nous ne traverserons jamais l’arc-en-ciel, nous ne serons jamais assez proches.3/ Prose et poésie, la distinction a-t-elle un sens ?Un poème peut frôler le conte, l’histoire, l’essai. Il s’arrête toujours de tel ou tel côté de la frontière, ne la franchit jamais. Pourtant nous savons que rien n’est plus poreux qu’une frontière. 4/ De la forme (et du formel) en temps de crise.Une fois qu’une forme existe, l’entropie la saisit. Et soudain l’incertitude règne. Ensuite, la forme disparaît et une nouvelle forme fleurit. Le chaos et l’incertitude sont les matrices de la forme, la crise de la forme. Aucune forme n’est stable, les formes sont comme les eaux d’une rivière ; ils chantent dans un même lit, sans jamais être les mêmes.5/ Quel avenir pour la poésie ?J’aime dire, en espérant qu’on ne me mécomprenne pas, que la poésie n’a pas d’avenir. La poésie est strictement contemporaine. Je comprends le contemporain comme opposé à l’actuel. Contemporain, c’est le moment où une lectrice ouvre un livre et lit le poème. Contemporain, c’est le moment où une poète écrit un poème. Ceci est le temps de la poésie.6/ La part de la prosodie dans l’élaboration du poème.En bref, je dirais que la poésie occidentale a choisi de se détacher du chant et de la ligne mélodique pour se lier au silence de l’écriture et être lue avec les yeux et non chantée ou récitée par une voix. Disons que le point sans retour est le poème de Mallarmé « Un coup de dés ».En bref je dirais qu’au 21e siècle tout est possible, même récupérer la mélodie.En bref, et de façon un peu cryptique, je propose ce qui suit : imaginons que la poésie a la forme d’un papillon ou d’un scarabée. L’insecte étend ses ailes. La gauche est la prosodie, la droite est le chiffre, la pensée mathématique. La gauche est l’un des rêves limites du poème, celui de disparaître dans la sonorité de la langue, de manquer de sens. La droite est un autre des rêves limites, celui de disparaître dans l’abstraction d’un nombre. Ce qui soutient ces rêves est le corps central du papillon, du scarabée. Sans ce corps il ne peut pas voler.7/ La place de la traduction dans l’écriture poétique.Un pain est un pain, mais à chaque four son pain. Quand nous voyageons et mangeons du pain, nous reconnaissons que ce qu’on met dans la bouche est du pain, mais en chaque pays le pain est différent. En chaque langue, le mot pour pain signifie un pain, mais les lettres du mot diffèrent. Le pain est un nutriment, mais en même temps, un infini. Répétition et différence. C’est ça la traduction, ce mot qui nous nourrit se répète et dans sa répétition est la différence. C’est ça la nutrition. D’autre part, l’écriture poétique est déjà en soi une traduction. Si celui qui écrit le poème est le cheval, nous devons reconnaître que lorsque le cheval du monde devient un cheval linguistique, on traduit. Comme j’ai déjà dit, un ou une poète doit disparaître, céder sa place au cheval, c’est le cheval qui traduit.