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Jean Cras (1879-1932) était un fervent catholique : difficile de l’imaginer autrement pour un homme de cette origine et de ce milieu. Pratiquant, il l’était, tout comme l’était sa famille, puis comme le furent sa femme et enfin ses enfants, dans la stricte obédience romaine. La volumineuse correspondance entretenue avec ses parents et surtout avec son épouse – ayons en mémoire que c’était, pour cet officier de la Marine, l’unique moyen de correspondre avec des êtres chers, mais éloignés pour de longues semaines – nous renseigne avec précision sur la manière dont il vivait profondément sa foi chrétienne, et notamment sur l’importance qu’il accordait aux sacrements de l’Église. Il ne faut donc pas s’étonner si cette foi trouve sa traduction dans le catalogue de ses œuvres ; mais de façon bien limitée, peut-être simplement parce que la majorité de ses ouvrages relevait – pour lui, et jusqu’à son opéra Polyphème – de l’intervention du divin, sans qu’il lui fût nécessaire de verser dans le « religieux ». Il nous laisse une Messe à quatre voix a capella – et faisant suite à une autre messe de prime jeunesse –, quelques cantiques et pièces pour orgue, et les trois petits motets du présent cahier.Il est vrai qu’ils sont de la même veine, bien qu’espacés dans le temps, et trouvent leur point de départ dans l’habitude naturelle pour Cras d’écrire pour l’une de ses sœurs aînées. Si rien n’éclaire l’origine du Panis angelicus, écrit à l’âge de vingt ans, avant sa rencontre décisive avec Duparc, la correspondance nous en apprend un peu plus sur les deux autres motets.En juin 1905, il écrit à son épouse : « J’ai mis à moitié sur pied un Ave Maria avec partie concertante de violon qui pourrait être très bien si je le termine comme je veux. » L’œuvre nous est bien parvenue, mais sans le violon obligé. A-t-il écrit une version ultérieure écartant l’archet ? C’est ce qui semble ressortir des seuls manuscrits existants, datés du 27 août 1910, et ne comportant que la voix (élevée ou moyenne) et l’orgue ou l’harmonium.On en sait plus sur l’Ave verum. D’abord par une lettre du 27 novembre 1905 : « J’étais seul à bord ce soir. J’ai travaillé à l’Ave verum corpus dont je t’ai parlé. Je n’aurai pas complètement terminé pour jeudi ; mais je te l’apporterai quand même. Il est écrit pour orgue, violon et chant. » Cette fois, pas de doute : le violon est là dès le départ et y restera jusqu’au manuscrit définitif daté du 16 décembre de la même année. La famille devait tenir à cette prière puisqu’elle fit partie du décorum musical du mariage de Charles Cras, le frère aîné de Jean. Le compositeur était-il à l’orgue ? Sans doute, tout comme l’une de ses autres sœurs, Amélie, qui tenait certainement l’archet. En tout cas, on sait qui chantait : « Le mariage [s’est] très bien passé. Grand discours d’un vieux prêtre […]. Musique bien. Gabrielle a eu très chaud au début de l’Ave verum, mais on ne s’en est pas aperçu. »Stéphane Topakian