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Un ouvrage pluridisciplinaire qui lie de manière originale art du langage et linguistique du sens dans le cadre d’une anthropologie sémiotique. Il renouvelle la compréhension de la notion de « monde(s) » à partir de la poésie. L’idée d’une fonction de l’art comme fabrique de mondes est aujourd’hui très largement répandue, notamment en raison de la forte influence de la théorie de la fiction inspirée de la notion leibnizienne de « monde possible » et des approches postmodernes d’orientation ontologique. Celle d’un texte-monde est appliquée quasi exclusivement au genre romanesque. Les sciences du langage, de leur côté, se désintéressent majoritairement de ces problématiques venues du champ littéraire, occupées qu’elles sont à se développer au croisement de la cognition, des mathématiques et de l’informatique. Cependant dans le cadre d’une anthropologie sémiotique renouvelée, il est possible de penser un décloisonnement fécond des savoirs entre sciences et Humanités à partir de la question des conditions d’accès au sens, question qui se pose de manière cruciale si l’on reconçoit la question de la créativité langagière comme problème linguistique et sémiotique central. Interpréter/décrire la façon dont les écrivains disent le monde ou créent un monde revient alors à inscrire le travail critique dans une conscience du hors-champ et des transferts culturels, en soulignant l’enjeu éminemment politique de toute épreuve du dehors, y compris au sein d’une seule langue. Si le monde humain est fait d’institutions, de pratiques et d’objets supposant à la fois le couplage complexe à son entour et son façonnement plastique en retour, si l’on restitue au langage sa dimension écologique, c’est-à-dire si on le définit non comme un simple instrument, mais comme un milieu traversé de normes et de valeurs, alors travailler la langue, c’est travailler le monde, réinventer sans relâche le monde humain et son rapport à la Terre et aux autres espèces, entrer dans des dynamiques cosmomorphes inédites. C’est pourquoi « poésie » désigne ici un processus d’individuation d’une langue dans la langue par un sujet inscrit dans l’histoire et dans le rythme de son corps – rapport particulier au langage que le genre poétique maximalise sans doute, mais sans exclusive. La poésie n’est pas ici conçue comme une sortie du langage, mais au contraire comme un approfondissement de ses possibles, où le blanc, le papier, la matière sonore, les rapports aux sciences, aux mythes, à la technique, à l’environnement, à la politique, ont toute leur place – et qui met au défi les linguistes, au moins autant en tant que spécialistes du langage qu’en tant que lecteurs et citoyens du monde. L’approche micrologique par la poésie contemporaine et ses mondes flottants, en émergence, hybrides, et l’approche macrologique par une anthropologie sémiotique peuvent ainsi, de manière imprévue, se rendre de mutuels services en soulignant la nécessité d’un point de vue multifocal et pluralisé, sensible aux différenciations critiques.