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" S'il est vrai, selon le poète catholique, qu'il n'y ait pas de plus grande peine que de se rappeler un temps heureux, dans la misère, il est aussi vrai que l'âme trouve quelque bonheur à se rappeler, dans un moment de calme et de liberté, les temps de peine ou d'esclavage. Cette mélancolique émotion me fait jeter en arrière un triste regard sur quelques années de ma vie, quoique ces années soient bien proches de celle-ci, et que cette vie ne soit pas bien longue encore. Je ne puis m'empêcher de dire combien j'ai vu de souffrances peu connues et courageusement portées par une race d'hommes toujours dédaignée ou honorée outre mesure, selon que les nations la trouvent inutile ou nécessaire. Cependant ce sentiment ne me porte pas seul à cet écrit, et j'espère qu'il pourra servir à montrer quelquefois, par des détails de moeurs observés de mes yeux, ce qui nous reste encore d'arriéré et de barbare dans l'organisation toute moderne de nos armées permanentes, où l'homme de guerre est isolé du citoyen, où il est malheureux et féroce, parce qu'il sent sa condition mauvaise et absurde. Il est triste que tout se modifie au milieu de nous, et que la destinée des armées soit la seule immobile. La loi chrétienne a changé une fois les usages féroces de la guerre ; mais les conséquences des nouvelles moeurs qu'elle introduisit n'ont pas été poussées assez loin sur ce point. Avant elle, le vaincu était massacré ou esclave pour la vie, les villes prises saccagées, les habitants chassés et dispersés ; aussi, chaque état épouvanté se tenait-il constamment prêt à des mesures désespérées, et la défense était aussi féroce que l'attaque. À présent les villes conquises n'ont à craindre que de payer des contributions."