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IL n'était pas aisé de faire avouer son âge au père Gilles Garain : « Je suis de l'âge du Denis Poissenot », disait-il. « Mais — lui demandait-on — ce Denis Poissenot... quel âge a-t-il lui-même ? » Père Gilles prenait alors son air cher- cheur et répondait abondamment : « Le Denis Poissenot était le conscrit de Pierre Létabli, dont vous avez pu connaître encore le frère il y a cinq ou six ans. Leur beau-frère, à ces Létabli, était un Etienne Vorand, apparenté lui-même aux Tiercelin, de Barges. Leur parenté à ceux-ci n'est pas éteinte, comme on pourrait croire... » Et le père Gilles continuait ainsi la recherche des parentés de tout un chacun. Il était bien rare qu'il n'en arrivât pas alors à son sujet favori : « Les Garain, dont je fais partie, ne sont pas de la poussière de grenier. N'appréciez pas en effet la famille d'après les Garain abâtardis que vous trouverez de-ci de-là, à travers le Pays-Bas, se ]mêlant d'élever un bétail qui les vaut. Que voulez-vous ?... La race a dégénéré entre les mains d'une foule de bousillous qui ont épousé, par-ci par-là, au hasard de l'amour, des filles de pas grand chose. Je ne veux pas dire qu'il faille, quand on se marie, être trop difficile, exiger de la vertu jusqu'entre les cuisses, et de l'argent plein les mains. Mais il ne faut pas non plus être trop accommodant. En choisissant sa femme, il faut être attentif, presque autant qu'en achetant une vache. On a même plus de chances d'être volé. »