Prix public : 20,00 €
Il faut miser pour voir. Savoir jouer, ruser, cacher, mais aussi dévoiler son jeu, s’attendre à perdre, à gagner, réfléchir, avoir des coups de tête, de la chance, se recueillir, tout dépenser. Ne pas retenir quelques mots bien au chaud pour l’hiver, dans son bas de laine pour les temps de disette. Tout dépenser. Il faut à chaque fois écrire toutes voiles dehors, au risque de se trouver fort dépourvu quand la bise n’est pas venue. Je ne connais rien de plus difficile que ces commandes d’un « petit texte » pour une exposition de peinture, le travail d’un sculpteur. Car jamais de moi-même je n’irais me fourrer dans pareil pétrin (encore qu’il est tentant de mettre ses mains dans la pâte qui finira par s’échauffer et lever, mais c’est une autre histoire). Il s’agit qu’on m’invite à jouer, et si le jeu est engageant, je ne peux m’empêcher de dire chiche et de jouer à perdre haleine, me fiant à l’excitation, à l’emportement, et croisant les doigts pour qu’à la fin je puisse enlever le bandeau que j’ai sur les yeux et reconnaître ce que j’ai cru toucher. Écrire pour voir. Est-ce écrire en regard du tableau ? On peut bien écrire quelques mots dans un carnet devant le tableau, il ne s’agit jamais d’un tête-à-tête. Le tableau a une et même plusieurs longueurs d’avance. Qu’il soit peint comme de toute éternité et ne demande rien à personne crève les yeux. Le tableau est immobile, cela crève aussi les yeux, on ne peut pourtant pas le fixer. Écrire dans son carnet oblige à baisser les yeux. Lorsqu’on les relève, le tableau a détalé. On envoie des mots en éclaireur.