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Derrière ce titre aux résonances politiques s’ouvre un espace qui excède, littéralement à l’infini, l’intelligence étroite que nous pouvons avoir du mot de migration. De fait, le texte de Jean-Luc Parant, un poème en prose au long cours, et comme d’une seule venue, élargit le phénomène à une dimension cosmique. « Nous avons tous migré sur la terre, pour tourner avec elle et ne plus nous arrêter de tourner ; pour, de la lumière, passer à l’obscurité et, de l’obscurité, passer à la lumière et ainsi sans cesse jusqu’à ce que le jour se mélange à la nuit et la nuit au jour… » L’exposé ordinaire du « fait migratoire » et ses accents paniques, qui scandent binairement une division entre « eux » et « nous », se dissolvent ici en de longues périodes soutenues par un « nous » unifié, sujet d’un récit poétique des origines et du devenir du genre humain. À partir d’un nombre réduit d’éléments – le soleil, la terre, le jour, la nuit, le corps, les yeux, la pensée, le temps, l’espace… –, substances qu’il associe, réinterprète et convertit de paragraphe en paragraphe, le texte esquisse une vision mythique de l’homme, presque sur le mode de ces cosmogonies qui furent les premières descriptions scientifiques de l’univers : « Si l’espace qui nous entoure est si grand, c’est pour laisser à la terre suffisamment de place pour tourner. Mais c’est aussi dans cet espace que nous avons pu nous projeter assez loin pour que deux fentes sous notre front puissent s’ouvrir et faire naître des yeux pour atteindre dans l’infini les points les plus lointains. » Dans un va-et-vient incessant mais paisible entre le fini et l’infini, le proche et le lointain, le poème libère une sorte d’esprit de potentiel, ou de réversibilité constante, qui agit de façon libératrice sur son lecteur. À vrai dire, la question politique n’est pas absente de ce développement imaginaire ; elle affleure même – sans surnager – en bien des points : « On nous a menti, on nous a fait croire que l’espace sans fin n’existe pas et que tout reste à sa taille réelle, comme délimité par les lignes d’horizon qui encerclent la terre, et que tout n’est qu’obstacle et gouffre alors que nous pensons et que, en pensant, tout est possible dans le vide sans fin. » Mais l’intelligence du poème consiste à porter cette question au degré supérieur, non seulement en retrouvant par poésie ce que biologie et histoire attestent – que la vie et nos sociétés sont le fruit d’un « grand voyage » –, mais en découvrant la migration dans la nature même de l’homme. Nous sommes tous des migrants se dégage ainsi de l’emprise de l’actuel en inventant sa nécessité propre, et donne du champ pour aborder des problématiques qui, si brûlantes et urgentes soient-elles, ne peuvent admettre de réponses pressées.