Prix public : 15,00 €
La trajectoire de Podsekalnikov dans Le suicidé est celle d’un homme qui cherche son bonheur dans une époque où l’artificialité règne, où tous nos faits et gestes sont partagés, où l’intimité n’est qu’un lointain souvenir, où le cynisme régnant peut aller jusqu’à tirer profit de la mort, où l’idéologie a infecté toutes les strates de la société, où penser librement et différemment est mal vu, voir condamnable. Attention, on parle bien des débuts du stalinisme, période heureusement terminée aujourd’hui. Cette pièce valut d’ailleurs à son auteur une censure immédiate avant même sa création, et un exil loin de Moscou et de ses théâtres. Ce texte a par la même occasion signé la fin de la vie créative d’Erdman qui termina scénariste pour films de seconde zone. Il n’écrira plus jamais pour le théâtre. En même temps, comment croire que cette pièce allait passer entre les mailles de la toute-puissante censure de l’État ? Évidemment la satire, la comédie, le burlesque, le vaudeville poussés jusqu’à leurs extrêmes permettaient d’espérer. Mais il n’en fut rien. Aujourd’hui, il est plus que capital de la monter. Oui, outre sa prose diablement efficace, sa drôlerie inespérée et sa puissance dramatiquement philosophique, il y a quelque chose qui la rapproche de tant de problématiques sociétales actuelles, toutes proportions gardées. « Je veux vivre » : voilà la simple requête de Podsekalnikov qui voit d’une rumeur propagée sur son possible suicide s’enflammer la société comme une traînée de poudre : ce sera à qui pourra revendiquer ce geste morbide pour sa cause et le récupérer alors pour ses propres intérêts, ou ceux de sa lutte, sans aucune pudeur ni empathie. Oui, souvent, là où la morale est trop revendiquée, c’est là que la morale vient à manquer… Satire d’une actualité évidente et en même temps pièce terriblement efficace, Le suicidé permet de refaire du plateau de théâtre l’endroit où la démesure des sentiments humains doit rentrer dans la juste mesure des mots.