Prix public : 13,00 €
Dès les premières pages, en évoquant sa découverte de la ville, il souligne son aspect spectral, l’étendue de son silence (« écouter l’inerte/ toutes les immobilités ») qui est parfois si violent qu’en rendre compte aboutit à son propre silence de poète, comme en témoigne une phrase restée inachevée au milieu du recueil (« s’il faut à présent se taire/ […] aujourd’hui/ c’est »). Il met ainsi en relief la part de désert qui s’engouffre jusque dans le langage à la vue de cet à-peu-près de no man’s land. Arpentant celui-ci, il est rempli d’une incrédulité qui le laisse presque hagard et dans un besoin de sollicitation, d’échange avec les lectrices et les lecteurs, comme l’indique l’abondance des questions qu’il pose au cours de son cheminement, soit à nous soit à lui-même (« quels souvenirs enterrer ? », « que reste-t-il/ qui ne fut redonné ? », « qui me suit/ dès l’aurore […] ? », « quoi/ fuit déjà/ que l’on croyait acquis ? ») De même, d’une page à l’autre, il se dépeint comme démuni, précaire face à une telle géographie désolée, ne pouvant accéder à son histoire que par fragments (« j’ignore tout », « je m’en remets à ce qui/ n’a pas de voix »). Cependant, loin de rester un touriste désenchanté ou passif, qui se contenterait de notifier l’écart entre l’activité industrielle du site et l’abandon qui l’a suivie, il le sillonne avec des yeux à l’affût, scrute les détails du paysage qui l’entoure et aperçoit, par exemple, le passage d’un lézard, les restes d’une charogne jusqu’aux choses les plus discrètes comme une plume tombée sur un sentier. Son expérience de voyageur est malaisée à retranscrire, non pas par sa tentative d’imaginer un passé économiquement dynamique mais par l’actualité fantomatique de cette région. Dès lors, semblable à un archéologue sur un champ de fouilles, il s’attache à dépeindre ce qui y a survécu, en s’adressant régulièrement à nous, comme si nous étions à côté de lui pendant sa promenade et partagions sa surprise dont la peine n’est pas exempte. Pour prolonger cette remarque, nous relevons que le pronom « tu » est plus récurrent que le « je », comme si cette troublante aventure au cœur du Texas, face à un paysage aussi béant, pouvait menacer l’expression de sa subjectivité et qu’il a, par conséquent, besoin d’une autre voix d’Homme qui lui fasse écho. Ainsi, au-delà de l’à-peu-près rien qu’il découvre en étant sur place, il ne compose pas un chant sombre, s’achevant par le constat de l’éphémère de nos destinées. En effet, ce livre n’a rien d’élégiaque ni d’une nostalgie douce-amère. Dans cette optique, nous relevons qu’il contient des vers courts, ceux-ci s’enchaînant fluidement, à la façon d’une eau de ruisseau, lui conférant un rythme vif. [suite de la critique de Gabriel Zimmermann sur le site de Poezibao]