Prix public : 12,00 €
Rédigée le 18-01
"Mon avis :
C’est un polar un peu hors norme que nous propose Marie-Françoise Chevallier Le Page. Sur le fond : il s’agit bien d’une enquête, mais elle se déroule longtemps après le drame et s’attache à en révéler les « à-côtés », les « dommages collatéraux », plutôt que de revenir sur des faits établis. Ce n’est pas le crime en lui même qui est ausculté, mais ce qu’il a provoqué dans l’entourage des protagonistes. Le personnage principal, la narratrice, sort aussi des sentiers battus, bien que n’étant pas le premier du genre dans la littérature policière. Il s’agit d’une dame que l’on devine d’un certain âge, qui a cette particularité de dialoguer avec son défunt mari, et même d’autres morts dont elle n’a pas vraiment conscience, au début, de leur état de trépassés. Cela amène des scènes un peu surréalistes et des quiproquos assez drôles.
Dans la forme, plus d’une chose le singularise : d’abord, c’est une espèce de mise en abîme, puisque l’auteur fait parler un auteur (la veuve K) qui donne la parole aux mères de la victime et de l’assassin (ou supposé comme tel). Ensuite, l’écriture, très travaillée, avec un vocabulaire étendu, possède un phrasé qu’on ne s’attend pas à trouver dans un roman de cette catégorie. Du moins au vingt-et-unième siècle ! Bien qu’utilisant un langage tout à fait moderne, il y a en effet quelque chose d’intemporel, un peu dix-neuvième siècle ou début vingtième, dans ces phrases longuement développées, enrobées de circonvolutions, riches comme une cuisine en sauce…
Le rythme, aussi, donne un ton particulier. À ma connaissance, Marie-Françoise Chevallier Le Page n’a pas édité de poésie, mais à la lecture de ce roman, on a l’impression qu’elle en a beaucoup écrit. Dans ce texte, une grande partie des phrases sonnent comme des demi-alexandrins (je dis « demi » parce que l’alexandrin n’est pas toujours complet). Cela pourrait être perturbant, mais finalement participe au rapprochement de la souffrance des deux mères, uniformisant ainsi le ton de leur complainte. Effet réussi, donc, puisque revendiqué, d’une certaine façon, par la veuve K. qui cherche à comprendre ce que ces deux femmes ont vécu, après le drame.
Un roman pas très moderne, si on le compare aux best-sellers de la littérature policière d’aujourd’hui, mais qui réjouira ceux qui apprécient une belle utilisation de la langue française. Il régalera également ceux qui ne supportent plus la violence et les descriptions complaisantes de la cruauté dans les polars d’aujourd’hui. Avec La part d’ombre, Marie-Françoise Chevallier Le Page ne signe pas un polar « pur et dur », mais laisse la part belle au texte pour une enquête prise sous un angle original."
Poljack pour Book-Node